PORTRAIT | Meva

Bizarrement, parcourir un continent en stop et partir dans des pays classés en zone rouge, ça aura été plus simple. Trouver un métier qui me stupéfie : ça, ça aura été plus de 60 lettres de motivation, plusieurs dizaines d’entretiens, des pleurs et bien des fous rires.
Ceci est mon histoire jusqu’au jour où je suis devenue une actrice à impact positif.
Aujourd’hui, j’enseigne l’anglais en banlieue parisienne.

La phrase au coin de la cheminée

Septembre 2012 : je rentre en École de Commerce, trop contente. Mais dès le second mois, il y a quelque chose qui sonne creux sans que je n’arrive à mettre des mots dessus. Mais j’opte pour le déni : “t’as tenu deux ans en prépa pour être ici”, “t’as ton prêt étudiant”, “tu pourras tout faire avec ce Master”. 

Jusqu’à ces mots : “année sabbatique”. Je pense tenter un CAP Cuisine mais arrive cette phrase. Au coin de la cheminée. Ma mère me dit : “et pourquoi pas aller vivre chez nous, à Madagascar?”. Quasiment pas de démarches. Moins de frais, pourquoi pas.
Alors aout 2013, je pars vivre chez mes grands-parents pour enseigner l’anglais dans le collège du coin.

Meva avec un livre

La claque

Pendant un an, je remplis 11 carnets de pensées. Je questionne mon identité, notre société, les rapports hommes-femmes notre rapport à l’Histoire, mes compétences, mes normes, je suis avec mes grands-parents. Au collège, enseigner, créer des cours me stimule tellement. Mais tout ça, c’est temporaire, c’est une expérience.

En rentrant, je me promets de toujours rechercher ça : cette envie de me déconstruire. Alors, je deviens accro aux voyages, je deviens cette copine qui voyage tout le temps. Chacun de mes voyages me transforme mais je voudrais aussi retrouver ce sentiment dans mon travail.

A tâtons

Dans cette recherche, je commence par renouer avec mon 1er rêve : la gastronomie, avec un stage en Communication dans un lieu hybride entre restaurant & cours de cuisine. Pas satisfaite. Je suis passionnée de voyages donc je me dis que je serai forcément épanouie en travaillant à l’étranger. Je pars en Inde pour mon deuxième stage. Je déteste le stage mais je tombe amoureuse du pays. Nouveau plan : monter en Inde un salon de pâtisserie. 

Je me consacre au projet jusqu’à une conférence. Antonio Meloto. Fondateur de Gawad Kalinga, une ONG pour “éradiquer la pauvreté” aux Philippines. Quelle utopie. Je l’écoute. Utopie, non. Plutôt un rêve impressionnant. Ambitieux. Efficace. Alors, ça commence à monter. Et je finis par me la formuler cette question : “Monter une start up pour de riches Indiens, c’est à ça qu’il ressemble ton rêve après Madagascar, Meva?” Outch…

J’abandonne le projet, je lis, je m’informe. Mes questionnements sur le sexisme se renforcent, d’autres injustices sociales résonnent : je veux rester et modifier les choses en France. Je décide de travailler dans le secteur des énergies renouvelables. Start up avec un réel impact mais je ne me sens pas bien dans ce que je fais. Sans savoir ce que je voudrais faire non plus. Je passe pour la capricieuse et l’instable de service mais j’ai juste envie d’être épanouie, de ne pas attendre le soir pour être heureuse. Alors je démissionne. Donc zéro chômage mais je ne ferai plus de compromis.

3 mois de larmes et de rires nerveux.

Bon… Pendant 3 mois, c’est dur. Pour moi et pour mes proches. J’enchaîne les envois de CV, j’accumule les entretiens, je vais jusqu’au bout des processus pour ensuite refuser des propositions, je me fais recaler, je vois fondre toutes mes économies mais je m’entête. Jusqu’à ce que le fondateur d’une startup lors d’un entretien final (celui où tu en as eu 4 avant et où c’est censé être une formalité) me recale : “Il faut que vous trouviez ce qui vous plaît vraiment. Chez nous, vous ne resterez que quelques mois”. Je suis épuisée mais enfin, je m’écoute : la seule fois où j’ai été heureuse professionnellement, c’était en enseignant. Je veux être prof. Même si j’ai la trouille. Même si j’ai un prêt bancaire.

Même si c’est pas le plus beau métier du monde

Septembre 2020 : c’est ma 3ème rentrée en collège. Je ne dis toujours pas “j’ai envie d’aller au travail quand je me réveille le matin”, parfois je me sens vidée et je peux aller voir une classe avec une boule au ventre. Mais j’aime tellement enseigner, tout est beaucoup plus intense, je me sens enfin alignée. Toujours me questionner, accompagner mes élèves, essayer de gérer leurs singularités, faire preuve de pédagogie et de didactique, dialoguer sur l’environnement, le féminisme, l’islamophobie, les violences policières ou le racisme : j’ai le métier qui correspond à mes envies et à mon ambition citoyenne. J’adore. Les challenges et les incohérences du système éducatif français sont criants, révoltants surtout en banlieue mais je ne voudrais être nulle part ailleurs. J’ai enfin un métier que j’aime profondément.

Meva portrait 2

Mon conseil :

D’abord l’ambition. Regardez vos rêves (même les plus vieux) et autorisez-vous à être ambitieux, à ne pas faire de compromis. Ensuite, acceptez la peur. Une femme incroyable m’a dit : “pour faire un pas, il faut se déséquilibrer : c’est comme ça qu’on avance”.